Tout est performance : TikTok, vies clean et New-York Fashion Week
- Harmonie de Mieville

- 21 sept.
- 17 min de lecture

On vit dans une époque où tout est performance. Avant, tu avais besoin d’allumer la télé pour voir un spectacle. Aujourd’hui, tu n’as même plus besoin de lever la tête de ton café : ta musique, ta routine, tes indignations, tes vêtements… tout est calibré comme si le monde entier n’était qu’une scène. Et toi, tu joues ton rôle sans même t’en rendre compte. La preuve ? Ta playlist est choisie par un algorithme. Ton bureau doit ressembler à une vitrine beige. Tes conversations tournent plus souvent autour d’un clash Twitter que d’un film. Et quand le luxe organise sa grande messe à New York, ce n’est pas pour t’annoncer des tendances, mais pour essayer de se convaincre lui-même qu’il a encore une légitimité.
Cet épisode, c’est donc une plongée dans la mise en scène permanente. Comment TikTok a remplacé MTV comme programmateur officiel de ta bande-son. Comment la productivité est devenue un concours de mise en page pastel. Pourquoi les scandales vendent mieux que les œuvres. Et comment la Fashion Week de septembre a révélé un luxe en pleine crise existentielle. Alors sers-toi un cappuccino bien chaud, croque dans ton croissant, et prépare-toi à regarder le théâtre invisible dans lequel on vit. Parce que ce dimanche, on ne va pas juste parler de culture pop. On va parler du décor dans lequel on joue tous, parfois sans le vouloir.
TikTok est-il le nouveau MTV ?

Il fut un temps où la culture avait un portail d’entrée unique. Tu sortais du lycée, tu balançais ton sac dans un coin et tu allumais MTV. Pas pour les infos, pas pour les dessins animés, mais pour les clips. Parce que c’est là que la musique se passait. Britney qui tournait sur une chaise d’écolière, Eminem en blond peroxydé, les boys bands aux chemises trop ouvertes : tout était déjà emballé, ficelé et livré à domicile. MTV était le thermomètre du cool, et toi, spectateur docile, tu buvais ce qu’on te servait. Tu pouvais râler, mais au fond tu suivais, parce que tu n’avais pas d’alternative.
Avance rapide : 2025. MTV est une relique poussiéreuse qu’on ressort à Halloween pour faire peur aux Gen Z. La vraie scène culturelle tient dans une app gratuite, téléchargée par trois milliards de personnes, qui s’ouvre d’un mouvement de pouce. TikTok. La comparaison est inévitable : TikTok, c’est le nouveau MTV. Mais ce n’est pas juste une mise à jour. C’est une mutation. Là où MTV était une télécommande, TikTok est une perfusion branchée directement sur ton cerveau. MTV fonctionnait avec des programmateurs, des directeurs de contenu, des DJs en costard cheap persuadés d’avoir du flair. Tu pouvais les critiquer, accuser la chaîne de favoritisme, de passer trop de clips pop et pas assez de rock. MTV, c’était une élite identifiable qui décidait ce que tu allais entendre. Avec TikTok, ce pouvoir a été transféré à quelque chose d’invisible et d’implacable : un algorithme. Ce n’est plus un humain qui choisit, mais une équation opaque qui analyse ton scroll, ton temps d’arrêt, ton double-tap, ton replay. Ce n’est pas toi qui décides ce que tu aimes. C’est la machine qui décide pour toi, et qui t’explique en prime que si tu n’adhères pas, c’est toi le problème. Tu as mal feedé ton algorithme, tu as envoyé les mauvais signaux, c’est ton comportement qui est en faute.
Et ça marche. En 2024, quatre-vingt-quatre pour cent des morceaux qui ont atterri dans le Billboard Global 200 avaient d’abord percé sur TikTok. Pas grâce à la radio. Pas grâce à un clip diffusé sur une chaîne câblée. Mais grâce à quinze secondes d’un refrain, parfois accéléré, parfois remixé, balancées dans des millions de vidéos de danse, de make-up ou de memes. Tu ne passes plus par MTV, tu passes par un trend. Si ta chanson n’est pas “TikTokable”, elle n’a pas de futur. La mécanique est fascinante. MTV fabriquait des carrières sur la durée. Tu passais en heavy rotation pendant des mois, et ça construisait ton statut. TikTok propulse une chanson en une nuit. Une gamine en pyjama fait une danse dans sa chambre, l’algo s’emballe, et soudain ton refrain devient mondial. Mais aussi vite qu’il monte, il redescend. Les artistes réduits à un seul son viral pullulent. On les appelle les “TikTok artists”, comme si c’était une insulte. L’algorithme n’a aucune mémoire, aucune loyauté. Si demain ton son ne génère plus de clics, il disparaît. Tu n’as pas construit une carrière, tu as fait un buzz. Et la différence entre les deux, c’est la durée de vie : quelques mois contre quelques années.
Ce n’est pas tout. MTV, en imposant des clips, avait déjà compris l’importance de l’image. Michael Jackson n’était pas seulement une voix, c’était un court-métrage. Madonna n’était pas seulement une chanteuse, c’était une icône visuelle. Mais TikTok a radicalisé cette logique. Ce n’est plus seulement la chanson qui doit être visuelle, c’est ta vie entière. Les chorés, les tenues, les looks, les expressions : tout doit être calibré pour tenir en quinze secondes et donner envie d’être rejoué. MTV imposait des clips. TikTok impose une esthétique permanente. Et l’effet ne se limite pas à la musique. Les micro-tendances de mode se succèdent à la vitesse du scroll. Les mots, les punchlines, les références changent tous les mois. Ce que tu portes, ce que tu dis, comment tu dis bonjour, tout est dicté par l’algorithme. On ne parle même plus de sous-cultures, mais de micro-cultures éphémères qui s’auto-détruisent à mesure qu’elles explosent. L’algorithme est devenu le styliste de ton placard et le scénariste de ton langage.
Alors oui, TikTok est le nouveau MTV. Mais en pire. MTV avait des humains, avec leurs goûts douteux et leurs préférences biaisées. TikTok n’a que des lignes de code, mais elles sont implacables. MTV construisait des icônes, TikTok fabrique des gimmicks. MTV te donnait l’illusion d’appartenir à une génération entière. TikTok te donne l’illusion d’appartenir à une trend de vingt-quatre heures. MTV avait des clips qui restaient dans l’imaginaire collectif. TikTok a des sons qui disparaissent dès que tu rafraîchis ton feed. Et pourtant, on scrolle. On scrolle parce que découvrir un son avant qu’il ne devienne mainstream, ça donne toujours ce frisson. On scrolle parce que l’algo nous donne la dopamine en intraveineuse. On scrolle parce que, soyons honnêtes, on adore jouer les figurants dans ce grand clip mondial. Ce n’est plus Carson Daly qui te présente le top 10, mais une adolescente en jogging filmée en 4:3, et ça fonctionne.
Le plus ironique dans l’histoire, c’est que TikTok, malgré son vernis de nouveauté, ne fait que rejouer la même partition que MTV. Il impose une hiérarchie, il dicte ce qui mérite d’exister, il fabrique un goût collectif. La différence, c’est l’échelle et la vitesse. MTV était un feu de camp : tout le monde se rassemblait autour et regardait le même spectacle. TikTok est une pluie de météorites : chacun en prend une sur la tête, mais personne ne regarde exactement la même. Il y a bien un horizon commun — ces 84 % de hits passés par l’appli — mais la manière dont tu les découvres, elle, est unique. L’illusion d’une personnalisation, alors que tout le monde reçoit les mêmes tendances à quelques secondes d’écart. Et si on creuse, ce parallèle raconte surtout la mutation du pouvoir culturel. MTV incarnait l’autorité d’une génération télévisuelle. TikTok incarne l’autorité d’un logiciel. Ce n’est pas un détail. Ça change notre rapport au contenu, mais aussi à nous-mêmes. Parce que si la musique, la mode et le langage sont désormais calibrés pour un algorithme, alors nos vies le sont aussi. TikTok n’est pas seulement le nouveau MTV. C’est le MTV muté, le MTV dopé à la vitesse et à la data. Et ce qu’il nous vole, ce n’est pas seulement notre attention. C’est notre illusion de choisir.
Le culte de la productivité esthétique

Il y a une époque pas si lointaine où l’organisation était une affaire privée. Tu avais un agenda en cuir un peu moche, des post-it fluos collés sur ton frigo, et basta. Ce n’était pas beau, ce n’était pas instagrammable, mais ça marchait : tu savais quand rendre ton devoir, quand payer ton loyer, et quand aller boire un verre. Personne ne se souciait de savoir si tes notes étaient alignées ou si ta to-do list ressemblait à une œuvre d’art. Mais aujourd’hui, ça ne suffit plus d’être organisé. Il faut être beau en l’étant. Ton carnet doit ressembler à une vitrine Muji, ton bureau à une photo Pinterest, ton café du matin à une campagne Starbucks. C’est ça, le culte de la productivité esthétique : transformer chaque tâche banale en performance visuelle.
L’expression “clean girl aesthetic” ne dit rien de neuf : la fille propre, disciplinée, minimaliste, qui se lève à l’aube pour avaler un smoothie vert, faire du yoga devant sa baie vitrée, et écrire trois affirmations positives dans un carnet quadrillé couleur sable. Tu as sûrement vu cette esthétique mille fois sur TikTok ou Instagram. Des bureaux immaculés, des stylos pastel, des mugs de matcha posés au millimètre, des bougies qui brûlent sans laisser de cire. Ce n’est plus une routine, c’est une scène. Tu ne prends pas ton petit-déjeuner, tu tournes une publicité pour ta propre vie. Le pire, c’est que cette mise en scène est devenue rentable. En 2025, plus de 80 % des marques déclarent avoir maintenu ou augmenté leur budget marketing d’influence, et une grande partie va à des créateurs de contenu lifestyle qui vendent non pas un produit, mais un quotidien. Ta lampe de bureau, ton tapis de yoga, ton planner en cuir vegan : tout est présenté comme la clé d’une vie plus claire, plus douce, plus organisée. Le marché suit : la clean beauty, cousine directe de ce mouvement, est estimée passer de 8,7 milliards de dollars en 2023 à 39 milliards d’ici 2033. Tu croyais acheter un carnet à 15 euros ? Tu finiras avec une panoplie complète : planners, stickers, skincare assorti, et un abonnement à une box de bougies “efficacité concentrée”. L’organisation n’est plus une discipline, c’est une marchandise.
Mais ce qu’on oublie de dire, c’est que cette esthétique a un coût invisible. D’abord, le temps. Passer vingt minutes à aligner ses stylos pour la photo, ça n’avance pas ton projet. Tu passes plus de temps à rendre ton organisation instagrammable qu’à l’utiliser vraiment. Ensuite, l’énergie. Ce n’est pas rien de maintenir cette façade au quotidien : filmer, poster, éditer, se montrer sous son meilleur jour. Et enfin, le coût psychologique. Des études l’ont prouvé : se comparer en permanence à des vies parfaitement scénarisées sur les réseaux sociaux est lié à l’anxiété, à la dépression, à une faible estime de soi. Et soyons honnêtes : qui peut vraiment se lever à 5h30 chaque matin pour méditer sur un tapis couleur sable, avant d’écrire trois pages d’intentions dans un carnet hors de prix ? Pas grand monde. Mais tout le monde regarde ces vidéos, like, partage, et culpabilise en silence d’avoir une vie trop… normale. Ce culte n’est pas seulement épuisant, il est aussi profondément excluant. Le fameux “clean” ne concerne pas que ton bureau ou ton carnet : il codifie ton corps, ton visage, ton style. La plupart des vidéos qui cartonnent dans cette esthétique montrent les mêmes standards : jeunes, minces, souvent blancs, cheveux lisses, vêtements neutres. Comme si la productivité ne pouvait s’exprimer qu’à travers une certaine image. Les autres corps, les autres visages, les autres esthétiques ? Invisibles. Et quand ils apparaissent, c’est souvent pour être corrigés, transformés, adaptés à la norme. La productivité esthétique ne vend pas seulement des carnets et des mugs : elle vend la conformité, emballée dans un filtre beige.
Mais comme toute esthétique trop rigide, elle commence à craquer. La fatigue est là, surtout chez la Gen Z, qui a fini par inventer un antidote : le messy girl aesthetic. Là où la clean girl aligne ses stylos, la messy girl laisse traîner ses fringues. Là où la clean girl se maquille en nude parfait, la messy girl sort les paillettes. C’est une réaction instinctive à la pression de la perfection : revendiquer le chaos comme une forme de liberté. Comme si on avait enfin compris que le beige n’était pas une couleur de vie, mais une camisole. Et pourtant, malgré la critique, malgré la lassitude, le culte persiste. Parce qu’il est rentable. Parce qu’il est séduisant. Parce qu’il donne l’illusion que ta vie peut être plus simple si elle est plus jolie. On ne consomme pas vraiment de l’organisation, on consomme l’image de l’organisation. On ne consomme pas la productivité, on consomme le rêve d’une vie parfaitement cadrée. Comme si, en alignant trois stylos pastel et une bougie parfumée, on pouvait aussi aligner nos angoisses.
Mais soyons honnêtes : ce culte ne produit pas grand-chose. Il ne te rend pas plus efficace, il ne te libère pas du stress. Il produit du contenu. Des vidéos, des posts, des trends. C’est une machine qui s’auto-entretient. Tu ne notes pas une tâche, tu notes un futur post. Tu ne ranges pas ton bureau, tu ranges ton feed. Tu ne fais pas du yoga pour ton corps, tu fais du yoga pour la vidéo. Et plus tu joues le jeu, plus tu te sens coincé dans la mise en scène.
Alors oui, tu peux appeler ça une routine, une discipline, une esthétique. Mais au fond, c’est juste une performance. Et comme toutes les performances, elle est épuisante. Derrière chaque matcha latte et chaque carnet beige, il y a surtout quelqu’un qui se demande si sa vie est assez jolie pour mériter un like. Et c’est peut-être ça, le vrai drame : dans le culte de la productivité esthétique, ce n’est pas toi qui tiens ton agenda. C’est ton feed.
Pourquoi les scandales vendent mieux que les œuvres

On pourrait croire que la culture se nourrit d’œuvres. Des films, des chansons, des livres, des expositions. Des choses qui prennent des années à créer, à peaufiner, à produire. Mais soyons honnêtes : en 2025, on ne consomme plus vraiment les œuvres. On consomme les scandales qui les entourent. On ne parle pas du dernier album, on parle du tweet qui a mis le feu aux poudres. On ne discute pas de la mise en scène d’un film, mais du casting qui s’est écharpé en coulisses. Le scandale est devenu le produit principal. L’œuvre n’est plus qu’un prétexte.
Ce n’est pas une impression : les chiffres sont là. Une étude sur quatorze scandales analysés sur Twitter a montré que quand un scandale touche aux valeurs morales — trahison, injustice, racisme, sexisme — les utilisateurs influents s’en emparent massivement, et leurs tweets sont ceux qui génèrent le plus d’engagement. Les gens adorent cliquer sur la colère. Un autre rapport, sur plus de 16 000 vidéos YouTube et 105 millions de commentaires, a montré que les contenus controversés et toxiques généraient un engagement énorme, même si ce n’est pas toujours rentable directement. Plus un contenu est polarisant — c’est-à-dire aimé ou détesté avec passion — plus il circule. Autrement dit : si tu veux de l’attention, mieux vaut un scandale qu’un chef-d’œuvre. Et ça se comprend. Le scandale, c’est immédiat. Ça se consomme en un clic, en un screenshot. L’œuvre, elle, demande du temps. Écouter un album, ça prend une heure. Lire un livre, des jours. Regarder un film, deux heures. Mais réagir à un tweet incendiaire ? Ça prend dix secondes, et ça donne l’impression d’avoir participé à quelque chose. Le scandale est rapide, jetable, addictif. Exactement ce que l’algorithme adore.
Le mécanisme est simple : le scandale déclenche une émotion forte. Indignation, colère, jubilation coupable. Or notre cerveau est câblé pour ça. On retient mieux ce qui choque que ce qui est neutre. On partage plus facilement ce qui scandalise que ce qui apaise. Une œuvre peut émouvoir, faire réfléchir, bouleverser, mais ça demande de s’immerger. Un scandale, lui, fait vibrer l’émotion brute, instantanée, celle qui passe bien en 280 caractères. Résultat : une chanson peut être brillante, mais si l’artiste est accusé de plagiat, c’est l’accusation qui fera le tour du monde. Un film peut être visuellement époustouflant, mais si deux acteurs du casting ne se supportent pas, c’est ce clash qui sera viral. L’œuvre devient secondaire. Elle sert de décor à la vraie pièce : le drame public. On ne consomme plus la création, on consomme sa coulisse.
Et le phénomène n’est pas nouveau. Les tabloïds ont toujours compris que le scandale vendait plus que la critique d’un livre. Les polémiques littéraires du XIXe siècle, les films jugés immoraux dans les années 50, les provocations d’artistes dans les années 80… le scandale a toujours été une stratégie marketing, parfois volontaire, parfois subi. Mais la différence aujourd’hui, c’est la vitesse et l’échelle. Avant, un scandale occupait la presse quelques semaines. Aujourd’hui, il explose en quelques heures, et s’éteint à la même vitesse, remplacé par le suivant. Et entre-temps, l’œuvre a été enterrée sous des millions de commentaires. La logique est devenue cynique. Certains artistes l’ont intégré : provoquer un clash, c’est un moyen d’exister dans le flux. Il suffit d’un tweet mal calibré, d’une phrase ambiguë en interview, d’une performance volontairement controversée pour déclencher le buzz. Le problème, c’est que ça marche. Un bad buzz rapporte plus d’attention qu’un travail bien fait. Alors pourquoi s’en priver ? L’art n’a plus besoin d’être jugé sur pièce : il doit être scandalisant, ou au moins accompagné d’un drama qui donnera l’impression d’un événement.
Mais cette mécanique a un coût. Pour les artistes, évidemment. Ton œuvre disparaît derrière ton image publique. Tu deviens “celui qui a dit ça”, “celle qui a fait ça”, pas “l’auteur de cet album” ou “la réalisatrice de ce film”. Pour le public, aussi. On se retrouve à consommer une culture de l’indignation permanente, une suite de mini-feuilletons où l’on ne se souvient plus de l’intrigue principale. Tu as vu passer dix polémiques cette semaine, mais tu n’as rien écouté, rien lu, rien regardé vraiment. Tu n’as fait que réagir. Et au fond, le scandale est lui aussi une performance. Comme la productivité esthétique, comme les trends TikTok. Il a ses codes, ses acteurs, ses spectateurs. Il se met en scène, il s’exagère, il se partage. Il devient du contenu, au même titre qu’un clip ou qu’une vidéo de routine matinale. La différence, c’est qu’il est plus efficace : il choque, il divise, il déclenche des réactions. Il est parfait pour l’économie de l’attention.
Le problème, c’est que cette économie ne distingue plus entre ce qui a de la valeur et ce qui fait du bruit. Une étude récente l’a montré clairement : les contenus à forte polarité — très aimés ou très détestés — ont bien plus d’engagement que les contenus modérés. Autrement dit, si tu veux que ton art circule, il faut qu’il soit polarisant. Pas nécessairement bon, pas nécessairement profond, mais polarisant. C’est la recette de l’algorithme. Alors oui, les scandales vendent mieux que les œuvres. Parce qu’ils sont plus rapides, plus simples, plus violents. Parce qu’ils parlent à nos instincts, pas à notre réflexion. Parce qu’ils s’adaptent mieux à un monde où l’attention est une monnaie rare. Mais à force de tout réduire à des clashs, on risque de perdre ce qu’il y avait de précieux dans la culture : la lenteur, la profondeur, la capacité à durer. Un scandale dure un week-end. Une œuvre peut durer une vie. Mais pour ça, il faudrait encore qu’on la regarde. Et peut-être que c’est là la question la plus inquiétante : est-ce que l’œuvre peut encore exister sans scandale ? Est-ce qu’on peut encore parler d’un album, d’un film, d’un livre sans que tout soit filtré par une polémique ? Ou est-ce que l’avenir de la culture, c’est un flux permanent de dramas emballés dans des hashtags ? Si c’est le cas, prépare-toi : dans ce théâtre permanent, l’art n’est plus qu’un décor. Le vrai spectacle, c’est le scandale.
Fashion Week de New York

La Fashion Week, c’est censé être le temple du luxe. Une grande messe biannuelle où les prêtres en talons aiguilles viennent annoncer les évangiles du style. Mais en septembre 2025, à New York, on aurait dit moins une messe qu’une séance de psychanalyse collective. Les designers avaient l’air de s’être donné rendez-vous sur le divan, chacun avec ses névroses : la nostalgie, l’angoisse de la légitimité, la peur de l’oubli. Résultat : une Fashion Week qui n’a pas seulement montré des vêtements, mais un luxe en pleine crise existentielle.
Prenons COS. La marque suédoise, longtemps cataloguée “Zara pour adultes sérieux”, a décidé de se réinventer en jouant la carte du brutalisme. Cuir, laine, gris métallisé, volumes massifs. Comme si chaque mannequin sortait tout droit d’une utopie scandinave construite en béton armé. C’était censé dire : “regardez, on est intellectuels, on est profonds, on a dépassé le minimalisme fadasse”. Mais au fond, ça sentait surtout la crise d’identité. COS, qui se rêvait accessible, flirte maintenant avec une austérité de musée, sans qu’on sache vraiment si quelqu’un a envie de porter ça hors d’un édito de magazine. Coach, de son côté, a voulu jouer au luxe gritty. Denim large, workwear revisité, cuir râpé : un défilé qui donnait l’impression que les mannequins sortaient d’un garage chic ou d’un concert grunge sponsorisé par Amex Black. L’idée est séduisante : ramener le luxe dans la réalité, avec des vêtements “portables”, sales mais chers, abîmés mais intentionnels. Mais là encore, ça trahit une hésitation : faut-il que le luxe soit parfait, ou faut-il qu’il imite l’imperfection pour rester crédible dans une époque où tout le monde parle d’authenticité ? Le problème, c’est que l’imperfection, quand elle coûte 3 000 dollars, ça devient une parodie.
Et puis il y a eu Rachel Scott avec Diotima. Là, au moins, on a respiré. Couleurs vives, crochet, références au carnaval caraïbe, magenta et vert lime, silhouettes festives. Une esthétique qui ose le rire, la fête, le désordre heureux. Diotima a rappelé que le luxe, ce n’est pas forcément le gris cérébral ou le cuir patiné. Ça peut être la joie pure, l’exubérance assumée. Mais là encore, contradiction : ce luxe-là s’affiche comme accessible, vivant, enraciné dans une culture populaire. Comment concilier ça avec l’exclusivité qui définit encore le marché du haut de gamme ? En filigrane, toute la Fashion Week de New York ressemblait à un round de boxe entre tendances contradictoires. D’un côté, la nostalgie : le retour massif du plaid façon Clueless, les références années 90 recyclées comme si les designers n’avaient plus le courage d’inventer du neuf. De l’autre, la fuite en avant : la technologie intégrée dans le textile, les effets visuels, les campagnes hybrides destinées à TikTok. Entre les deux, une sorte de minimalisme mou, avec des silhouettes fluides et des tons neutres, comme si l’ultime luxe était désormais de passer inaperçu.
Le paradoxe est là : tout le monde cherche la définition d’un luxe qui n’existe plus. Inclusif mais exclusif. Durable mais spectaculaire. Accessible mais hors de prix. On sent que les marques veulent cocher toutes les cases à la fois, répondre à toutes les injonctions du moment. Résultat : un grand écart permanent qui ne convainc personne vraiment. Le luxe en 2025, c’est comme un ado en crise : il veut être cool et profond, rebelle et approuvé, unique et copié. Et évidemment, il y a l’effet média. Parce qu’une Fashion Week ne se mesure plus aux applaudissements dans la salle, mais aux mentions sur les réseaux. Cette édition a généré 2,71 millions de mentions en ligne, atteignant plus de 150 millions d’utilisateurs. Ce n’est plus un défilé, c’est un hashtag. Calvin Klein, grâce à sa collab avec Jung Kook, a raflé la mise médiatique. Peu importe les vêtements : c’était la présence de la star K-pop qui a transformé un show en événement planétaire. La mode, en 2025, ne se joue pas seulement sur le podium. Elle se joue dans les trending topics.
Et ça, c’est peut-être le cœur de la crise. Le luxe veut rester l’arbitre du goût, mais il doit désormais composer avec une réalité où la culture se mesure en likes et en reach. Le designer le plus brillant n’a pas autant de pouvoir qu’une célébrité capable de générer trois millions de mentions en une heure. La question devient alors : qui crée vraiment la mode ? Les créateurs, ou les influenceurs ? Et si ce sont les influenceurs, à quoi sert encore le luxe, sinon à fournir du décor pour leurs photos ? Au final, ce que New York a révélé en septembre, ce n’est pas une tendance unique — le plaid, le cuir rugueux, la couleur festive. C’est une tendance plus large, plus inquiétante : le doute. Le luxe ne sait plus ce qu’il est censé être. Est-ce qu’il doit être démocratique ou élitiste ? Spectaculaire ou discret ? Confortable ou conceptuel ? Réel ou digital ? Et tant qu’il n’aura pas tranché, il continuera de se chercher, de se déguiser, de se contredire. Alors oui, la Fashion Week a offert des images superbes, des looks marquants, des shows impressionnants. Mais derrière la surface brillante, ce qu’on a surtout vu, c’est un luxe qui doute de lui-même. Un luxe qui regarde son reflet et se demande : suis-je encore crédible, ou suis-je déjà un pastiche ? Et peut-être que la vraie tendance de cette saison, ce n’est pas un motif, ni une couleur, ni une silhouette. C’est cette hésitation. Ce malaise. Comme si la mode, plus qu’un miroir de l’époque, devenait le symptôme le plus clair de nos contradictions.
Conclusion
On a parlé de TikTok, de productivité esthétique, de scandales et de luxe en crise. Quatre visages différents, et pourtant une seule obsession en filigrane : la mise en scène. Tout doit être visible, partageable, transformé en contenu. La musique, ta routine matinale, ton indignation, tes vêtements… rien n’existe plus simplement pour lui-même. On ne vit plus seulement dans une société de consommation, on vit dans une société de performance, où chaque geste est jugé à l’aune de son potentiel esthétique ou viral. Et ça pose une question que je n’ai pas envie de laisser en suspens : est-ce qu’on peut encore aimer quelque chose sans se demander s’il fera une bonne story ? Est-ce qu’on peut encore créer sans anticiper la polémique, sans espérer le clash, sans calibrer la mise en scène ? Ou est-ce que, finalement, on est devenus incapables de séparer l’expérience de la représentation ?
Peut-être que la vraie révolution culturelle, ce n’est pas TikTok ni la Fashion Week, mais le fait qu’on ait internalisé ce réflexe : tout ce qu’on vit doit être digne d’être vu. Et si ce réflexe ne venait pas des plateformes, mais de nous ? Si on aimait autant le scandale, le clean beige ou le défilé rugueux, c’est peut-être parce qu’ils nous rassurent : au moins, ça donne une forme à notre chaos. Mais voilà le problème : à force de tout cadrer, on perd la substance. Les œuvres se font écraser par leurs polémiques. Les routines deviennent des performances vides. Le luxe se transforme en pastiche de lui-même. Et nous, spectateurs complices, on finit par confondre le décor et la pièce.
Alors ma question pour toi est simple : qu’est-ce que tu choisis de regarder vraiment ? L’album ou le clash ? Le vêtement ou le hashtag ? Ta vie ou ton feed ? Et si tu veux continuer à creuser ces contradictions avec moi, tu sais où me trouver. Sur TikTok et Instagram... Sur toutes les plateformes et mon site internet cappcroissantmedia.com. Et au-delà du podcast, il y a mes livres, ma musique, et tout l’univers Cappuccino & Croissant, que tu peux retrouver en suivant mes réseaux. Partage cet épisode si tu veux ouvrir la discussion, abonne-toi si tu veux suivre le fil, et viens me dire ce que toi tu choisis de regarder. Parce qu’au fond, la culture n’est pas seulement ce qu’on consomme. C’est ce qu’on décide d’incarner.





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