Le retour du corps dans la mode — Chanel réapprend à respirer
- Harmonie de Mieville

- 30 oct.
- 4 min de lecture
Et si le vrai luxe, en 2025, c’était d’avoir encore un corps ? Alors que la moitié de la planète tente de se vêtir en pixels et que l’autre confond créativité avec algorithme, Chanel, elle, a remis les pieds sur terre. Littéralement. Sous la direction de Matthieu Blazy, la maison a troqué la virtualité des écrans pour la sensualité du tissu, l’apesanteur du concept pour le poids du réel. Fini les mannequins qui défilent comme des hologrammes, place à des silhouettes qui respirent, transpirent, existent. Ce n’est plus la mode qui s’affiche, c’est la matière qui reprend le pouvoir. Chaque couture de la collection automne-hiver 2025 ressemble à un manifeste contre la désincarnation du monde : draperies qui suivent la peau, vestes qui épousent le mouvement, broderies qui captent la lumière plutôt que le filtre. Comme si Chanel nous murmurait : tu veux du futur ? Commence par sentir ta propre présence. Dans un univers où tout devient cloud, Chanel choisit la chair. Et soudain, la haute couture redevient ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : une expérience humaine.
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Dans un monde où les visages se filtrent à la naissance et où la beauté s’exporte en .JPEG, Chanel a pris le contre-pied. Sous la direction de Matthieu Blazy, fraîchement débarqué à la tête de la maison, le défilé automne-hiver 2025 n’avait rien d’une démonstration numérique. Pas de robots, pas de réalité augmentée, pas d’écran géant pour t’expliquer ce que tu es censé ressentir. Juste du tissu, du souffle, du mouvement. Autrement dit : l’essence même de la mode, celle qui existe sur le corps, pas à côté. Blazy, qu’on avait déjà vu chez Bottega Veneta, n’est pas arrivé chez Chanel pour “moderniser” une icône : il est venu la réincarner. Là où d’autres maisons s’épuisent à simuler la vie via des expériences virtuelles, Chanel a choisi de rappeler que la sienne bat toujours. Le décor du défilé – un Grand Palais transformé en rêve feutré, où la lumière glissait comme sur une peau – annonçait la couleur : retour à la sensualité du tangible. Pas d’excès, pas de futurisme forcé. Seulement le murmure d’un savoir-faire qui refuse de mourir pixelisé.
Chaque silhouette racontait cette idée de résistance. Les vestes semblaient peser un peu plus, comme pour rappeler que le luxe a un poids. Les jupes se déplaçaient avec lenteur, presque comme des êtres vivants. Les broderies, elles, captaient la lumière avec cette arrogance tranquille que seule une maison sûre de son geste peut se permettre. Ce n’était pas un défilé “Instagramable”, c’était une expérience visuelle à vitesse humaine. Une provocation à l’ère du défilement infini. Et c’est peut-être là que réside le coup de génie de Blazy : avoir compris que la véritable modernité ne réside pas dans la technologie, mais dans la présence. Après des années à virtualiser la mode, Chanel se repositionne sur une valeur inestimable : la chair. La peau comme territoire, le vêtement comme prolongement du vivant. C’est une réhabilitation du sensible, presque politique.
La collection parle d’un retour à soi, mais pas d’un repli. C’est une réconciliation avec le réel. Les couleurs — beige, ivoire, vert mousse — respirent la terre, pas le nuage. Les coupes, strictes mais souples, réaffirment le corps sans le travestir. Blazy ne redessine pas la femme Chanel ; il lui rend sa gravité. Dans un monde qui veut constamment flotter, il la fait marcher. Ce geste a une portée symbolique. Depuis la mort de Lagerfeld, Chanel cherchait son souffle. Virginie Viard l’avait prolongé dans une élégance discrète, presque introspective. Blazy, lui, a décidé de respirer plus fort. Ce n’est pas un rejet du passé, c’est un retour à la pulsation. Il remet la main sur ce qui faisait de Chanel une révolutionnaire : une femme qui refusait les carcans et habillait le mouvement, pas la statue.
On pourrait croire à une nostalgie du “vrai”, mais non. C’est plutôt un réalisme lucide. Chanel ne se détourne pas du futur — elle rappelle simplement qu’un vêtement n’a de sens que lorsqu’il accompagne un geste, un souffle, une émotion. Ce qui est fascinant, c’est la cohérence entre le message et la mise en scène : tout semblait conçu pour qu’on se souvienne que la couture, avant d’être un symbole de prestige, est un langage corporel. Les critiques ont salué cette “reconnexion” avec la physicalité, et le public a semblé redécouvrir un frisson oublié : celui de voir des vêtements bouger avec des gens, pas des images. Le paradoxe, c’est que ce retour à la matière devient, dans le contexte actuel, le geste le plus audacieux possible. Dans une industrie obsédée par le progrès, Chanel choisit l’incarnation. Dans une époque qui vend des avatars, elle vend encore une présence.
Et c’est précisément pour ça que ce défilé marquera l’année. Parce qu’il ne promet rien qu’on ne puisse toucher. Parce qu’il ne cherche pas à séduire les algorithmes, mais les sens. Parce qu’il répond à la fatigue collective d’un public saturé d’images et en manque de réalité. Blazy ne réinvente pas Chanel : il la ressuscite dans le monde d’après. Le luxe, finalement, n’a jamais été une question d’innovation. C’est une question de vérité. Et cette vérité, chez Chanel, passe désormais par un simple constat : avant d’être une marque, c’est une respiration. Alors oui, pendant que le reste du monde scroll et simule, Chanel, elle, respire. Et le pire, c’est que ça s’entend.
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Chanel vient de rappeler à toute une industrie ce qu’elle avait oublié : un vêtement n’existe pas pour être vu, mais pour être vécu. Ce défilé, c’est une gifle polie au numérique, une ode à la lenteur dans un monde qui scrolle son identité à 120 images par seconde. Blazy n’a pas “modernisé” la maison : il l’a rendu de nouveau incarnée. Et dans ce retour à la matière, il y a quelque chose d’étrangement subversif : la preuve qu’on peut encore faire du bruit sans crier, fasciner sans choquer, exister sans s’exposer. La vraie modernité, c’est peut-être ça : oser le silence quand tout le monde parle. Et si la révolution du luxe commençait par un battement de cœur ? Alors garde cette image : dans un monde qui se digitalise jusqu’à l’épuisement, Chanel vient de remettre le corps au centre de la scène. À toi de choisir ton camp : tu veux briller à travers un écran ou laisser une empreinte sur le sol ?





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