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Louis Vuitton — la fatigue du sublime

Louis Vuitton — la fatigue du sublime

On n’assiste pas à un défilé : on assiste à une réincarnation. Les mannequins avancent lentement, enveloppées de drapés pâles, entre le rose coquillage et le gris pierre. Les tissus ondulent comme des voiles de temples oubliés. C’est beau, bien sûr — mais d’une beauté qui fatigue. On dirait que même la splendeur n’a plus la force de se tenir droite. Nicolas Ghesquière, d’ordinaire prophète du futur, a choisi cette fois la retenue antique. Une couture qui regarde vers les dieux, mais avec le regard vide de ceux qui ne croient plus vraiment aux miracles. L’effet est saisissant : Louis Vuitton ne montre pas la puissance, il montre la lassitude du pouvoir. Le marbre rouge du Louvre, les moulures dorées, les colonnes impérieuses… tout respire le prestige figé. Et au milieu, ces silhouettes diaphanes, presque fragiles, comme si le luxe avait décidé de baisser les armes. Ce n’est plus une parade : c’est une procession. Une élégance qui se délite lentement, sublime dans sa résignation.

Le Louvre, encore. Comme si Paris manquait d’autels.

Sous la Galerie d’Apollon, là où les plafonds s’élèvent comme des prières en or, Louis Vuitton a déroulé sa propre liturgie. Une procession de déesses fatiguées, pieds fermement ancrés dans le marbre, visages calmes, presque impassibles. Nicolas Ghesquière, d’habitude architecte du futur, a préféré cette saison convoquer les fantômes du passé. Des robes drapées comme des toges, des textures soyeuses aux reflets coquillage, des teintes pierre, rose, ivoire, gris perle. Rien ne crie. Tout murmure.

C’est un défilé qui respire le silence. Et c’est précisément ce silence qui dérange.

Chez Vuitton, la mode n’a jamais été timide : elle aime le bruit des flashs, le choc des matières, l’allure conquérante. Mais ici, quelque chose s’est éteint. Comme si, après tant d’années à redessiner l’avenir, Ghesquière avait décidé de s’asseoir et de regarder le monde s’effondrer avec grâce.

Ces silhouettes ne marchent pas, elles glissent. On croirait voir des prêtresses antiques sortir des fresques pour venir se recueillir dans la galerie. Les coupes sont légères, les tissus respirent, tout semble fait pour caresser plutôt que pour frapper. Pourtant, l’impression n’est pas apaisante. C’est une beauté mélancolique, presque clinique. Les visages ne sourient pas, les corps ne dominent plus : ils habitent l’espace avec une lenteur rituelle. Le geste n’est plus conquérant, il est contemplatif.

Ce n’est plus la mode du futur, c’est la mode de l’après. L’après-buzz, l’après-spectacle, l’après-croyance.

Louis Vuitton, maison de la puissance mondiale, se montre vulnérable — mais à sa manière : dans un marbre poli, sous un éclairage divin. C’est ça, la fatigue du sublime : quand même l’éblouissement commence à peser. Ghesquière semble dire que la modernité, c’est fini. Qu’on est entré dans l’ère du sublime épuisé.

Ce choix du Louvre n’est pas anodin. Déjà, parce que c’est un décor saturé de symboles : le temple de l’art, le musée des civilisations, l’endroit où la beauté est littéralement conservée sous vitrine. Y défiler, c’est assumer d’être un artefact. Ghesquière le sait. Il joue avec cette idée : ses mannequins ressemblent à des statues en mouvement, ses vêtements à des fragments d’histoire rapiécés. La mode devient archéologie. On ne crée plus, on exhume.

Mais il y a autre chose, plus subtil.

Dans un monde où tout s’accélère, où la nouveauté se périme avant d’exister, ce défilé ressemble à une pause forcée. Un ralentissement sacré. Les silhouettes Vuitton ne cherchent pas l’attention, elles la refusent presque. Elles imposent le calme, comme un acte de résistance. Et si la nouvelle provocation, c’était justement de ne plus provoquer ?

On y voit des robes longues sans contrainte, des drapés qui s’écoulent comme de l’eau, des épaules adoucies, des tailles à peine marquées. Le corps disparaît derrière le geste. Le vêtement devient un refuge, une enveloppe, pas un cri. Ce choix de fluidité, presque monacal, rappelle que le luxe le plus radical aujourd’hui n’est plus dans l’excès, mais dans la sérénité.


Et c’est là que Ghesquière frappe fort, sans bruit : il fait du calme un manifeste. Dans une époque saturée de mode qui s’agite, de créateurs qui confondent visibilité et invention, Vuitton répond par le silence. Pas celui du désintérêt, celui de la maîtrise absolue. La collection respire l’assurance d’un créateur qui n’a plus besoin de crier pour exister. Mais cette maîtrise, justement, a un prix : la distance. On sort du défilé ému, mais pas touché. Impressionné, mais pas bouleversé. Comme si la perfection avait perdu sa chaleur en route.


Les critiques l’ont noté : Ghesquière atteint ici une forme d’équilibre, presque ascétique. Mais derrière cette épure, on sent le vertige. Car l’épure, dans un monde d’images, c’est une arme à double tranchant. À force d’éliminer, que reste-t-il ? Un vêtement, ou son souvenir ? Une femme, ou une icône ? Dans cette galerie pleine de dorures, les mannequins semblent flotter entre deux temps : ni passé ni futur, juste un présent suspendu, presque anesthésié.

C’est magnifique, et en même temps inquiétant. Comme si la beauté, pour survivre, devait apprendre à ne plus rien ressentir.


On peut y lire la métaphore d’une mode en thérapie : après le bruit, la cure de silence. Après le maximalisme, le jeûne esthétique. Après la performance, la contemplation. Vuitton ne dicte plus un futur, il écrit un épitaphe. Une lettre d’amour au sublime, écrite à la main sur du tissu fragile. Et c’est peut-être ça, la vraie révolution : oser dire que même la grandeur s’use. Que le luxe n’a plus besoin de crier pour exister, mais qu’il doit apprendre à douter pour rester humain. Le défilé du Louvre ne vendait pas des robes. Il vendait une émotion rare : la lucidité.

La question, maintenant, c’est : que devient la beauté quand elle s’épuise ? Quand même le sublime finit par demander une pause. Ce défilé, c’est un aveu — celui d’un luxe qui doute de lui-même, et d’une époque qui n’ose plus croire en ses propres miracles. On a passé dix ans à chercher la mode du futur ; peut-être qu’il est temps de chercher la mode du vrai.

Et c’est là que j’ai envie de t’emmener.

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