VOGUE : entre culte du style et dictature du bon goût
- Harmonie de Mieville
- 6 mai
- 17 min de lecture
Dernière mise à jour : 24 mai

Est-ce que tu t’es déjà demandé qui décide que le beige est de retour ? Qui transforme un sac en plastique en accessoire "statement" à 12 000 € ? Ou qui impose que porter des Crocs à strass soit soudain une "déclaration politique"… alors que clairement, c’est juste moche ?
🎯 Spoiler : la réponse commence par un V, se termine par un E… et entre les deux, y’a un empire médiatique de plus d’un siècle.
Aujourd’hui, on parle de VOGUE. Pas la danse. Pas la chanson de Madonna. Le magazine. La Bible de la mode, le Saint-Esprit du luxe, la Tour de Contrôle du bon goût… ou, selon l’angle, un dinosaure en talons aiguilles qui refuse de mourir.
Parce que VOGUE, c’est pas juste un magazine qu’on feuillette dans la salle d’attente de son dermato. C’est une institution culturelle, une machine à rêves – et à injonctions – qui a régné sur le style, les carrières, et les mentalités. Et si tu penses que ça ne te concerne pas, rappelle-toi que même les tendances de ton fil Insta ont été dictées, de près ou de loin, par quelqu’un qui a validé un édito en noir et blanc depuis un bureau climatisé de Condé Nast.
Alors aujourd’hui, on sort le scalpel. On dissèque l’empire VOGUE :
de sa naissance dans les salons feutrés de New York à son statut de mythe éditorial,
du règne millimétré d’Anna Wintour à ses tentatives (parfois désespérées) de rester cool,
jusqu’à son rôle dans un événement que la fashion sphère considère comme un mix entre la Fashion Week, les Oscars, et Hunger Games : le Met Gala.
En gros ? Si t’as toujours voulu savoir comment on passe de la noblesse du corset à la vulgarité sponsorisée d’un slip en latex Balenciaga, cet épisode est pour toi.Bienvenue dans Cappuccino & Croissant, ton shot de caféine pop culture, sans sucre mais avec un soupçon de mauvaise foi.
🎙️ La Genèse d’un Empire
Vogue naît en décembre 1892 à New York. Pas dans une rédaction glamour ou un studio photo arty, non. Mais dans une Amérique encore corsetée — littéralement — et totalement dominée par les codes de la haute bourgeoisie blanche. À cette époque, Vogue n’a rien de révolutionnaire. C’est un hebdomadaire mondain créé par Arthur Baldwin Turnure, un aristocrate frustré de ne pas voir assez de contenu sur les bals, les chevaux, les bijoux, et les ragots socialement acceptables de la haute société new-yorkaise. Sa cible ? Les femmes de l’élite qui savent épeler étiquette en trois langues mortes et se battent pour une chronique sur leur dernier dîner entre barons.
Mais en 1909, l’histoire prend un virage. Condé Nast rachète le magazine. Et là, tout bascule. Parce que Nast ne veut pas d’un simple carnet mondain : il veut créer un média d’influence, capable de façonner l’opinion des riches… et de ceux qui aspirent à l’être. Il restructure le journal, allège la mise en page, met l’accent sur le visuel et introduit un luxe plus raffiné, plus international, plus… français. C’est le début du lien quasi fusionnel entre Vogue et la haute couture parisienne.
Dès les années 1910, Condé Nast comprend ce qu’aucun autre éditeur n’a encore osé : la mode est une forme de pouvoir culturel. Il lance alors Vogue UK en 1916 — fait historique, car c’est le premier magazine de mode américain exporté pendant la Première Guerre mondiale, alors que les liaisons postales sont coupées. L’édition britannique se démarque rapidement, avec une approche plus journalistique, moins mondaine, et une élégance toute victorienne.
Dans les années 1920, la direction est assurée par Edna Woolman Chase, première grande figure féminine de Vogue. Elle dirige la rédaction avec poigne, classe, et un sens du détail chirurgical. Sous son impulsion, Vogue devient une référence éditoriale, mais aussi visuelle : elle engage des illustrateurs, puis des photographes, pour faire de chaque numéro un objet d’art. En 1932, Vogue US publie sa première couverture en couleur photographiée, par Edward Steichen. Et là encore, on est en avance sur tout le monde.
Puis viennent les années 1930 à 1940. Le monde est en crise, mais Vogue résiste. Mieux : Vogue UK participe à l’effort de guerre. Sous la direction de Audrey Withers, le magazine documente la guerre sans jamais quitter sa position de force esthétique. La photographe Lee Miller — ancienne muse devenue correspondante de guerre — couvre le front avec ses Leica dans un tailleur. Elle est l’une des premières femmes à photographier les camps de concentration après leur libération. Ce n’est pas juste de la mode, c’est de la mémoire.
Dans les années 1950, Vogue renoue avec l’âge d’or du glamour hollywoodien. Les photographies sont somptueuses, les mannequins sont élancés, les poses sont sculpturales. C’est l’époque de Richard Avedon, Irving Penn, et Cecil Beaton. Le style Vogue, c’est celui de la femme élégante, mystérieuse, toujours inaccessible. Le magazine ne montre pas des femmes "comme nous", mais des femmes comme on ne le sera jamais — et c’est précisément ce qui fait rêver.
Mais la vraie révolution éditoriale arrive dans les années 1960 avec Diana Vreeland, la plus flamboyante des rédactrices en chef. Elle transforme Vogue en laboratoire d’idées. Elle impose des éditos où la mode côtoie l’art, la politique, la littérature, la culture pop. Vreeland invente l’idée même de la mode comme narration. Les photos deviennent des tableaux surréalistes. Elle fait poser Veruschka dans le désert, Twiggy sur fond de couleurs psyché, et Mick Jagger torse nu sur une page entière. Sous sa direction, la mode devient un manifeste.
Et pourtant, au fil des années 1970 et 1980, l’obsession du luxe revient au galop. Vogue commence à perdre de sa folie pour se recentrer sur des valeurs sûres : Dior, Chanel, Valentino, Yves Saint Laurent. Ce qui était un laboratoire devient un temple. Mais un temple sans prêtresse ne sert à rien. Et c’est là qu’arrive Anna.
Mais avant d’attaquer son règne, il faut comprendre ceci : Vogue n’a jamais été qu’un magazine. C’est une machine à hiérarchiser le monde, une matrice du désir, une école du regard. Et dès ses premières décennies, elle avait déjà imposé ce paradoxe qui la rend si fascinante : faire croire qu’on parle de style, alors qu’en réalité, on parle de pouvoir.
🎙️ Anna Wintour : du carré au commandement
“Le diable ne s’habille pas juste en Prada. Il signe aussi les chèques.”
En 1988, la planète mode vit l’après-Vreeland. Vogue est toujours debout, mais à bout de souffle. Les couvertures s’enchaînent comme des vitrines fades, la direction créative manque d’audace, et les jeunes générations s'en foutent royalement. C’est là qu’arrive Anna Wintour. Brune à carré rigide, lunettes noires vissées sur le visage, accent britannique tranchant comme un rasoir. Elle n’est pas là pour plaire. Elle est là pour imposer. Et elle va le faire comme personne ne l’a jamais fait dans l’histoire de l’édition mode.
Dès sa première couverture en novembre 1988, elle frappe un grand coup. Michaela Bercu, mannequin roumaine, y apparaît dans un jean Guess stonewashed et un top brodé de bijoux signé Lacroix, photographiée à l’extérieur en lumière naturelle. Ce choix provoque un tollé interne. On murmure que c’est une erreur d’impression. Ce n’est pas le cas. C’est une déclaration de guerre. Le message est clair : la haute couture ne vit plus dans des salons dorés, elle descend dans la rue.
Wintour a compris une chose fondamentale que ses prédécesseurs ont ignorée : le luxe doit se raconter autrement. Il ne peut plus rester figé. Il doit refléter le monde, sans se mêler au chaos. Le rêve, oui. Mais le rêve avec un jean.
À partir de là, tout change. Le magazine devient une machine éditoriale ultra performante, un acteur central de la fashion economy, qui influence tout : le casting des défilés, la montée en puissance de certains créateurs, l’accession au statut d’icône pour une star. Vogue n'est plus un magazine. C'est une place de marché symbolique où se négocie l'image publique des puissants.
Anna Wintour n’est pas juste rédactrice en chef. Elle devient progressivement une figure de l’establishment, une ambassadrice officieuse de la mode américaine, et bientôt une reine au sein de Condé Nast, le groupe qui possède Vogue, Vanity Fair, GQ, The New Yorker, Glamour, et plus encore.
À la fin des années 90, elle est déjà une légende. Elle est l’instigatrice des carrières de John Galliano, Tom Ford, Alexander McQueen, Marc Jacobs. Elle les soutient, les pousse, les finance parfois via le CFDA/Vogue Fashion Fund, un programme qu’elle co-fonde pour permettre aux jeunes designers de survivre à la jungle capitaliste de la mode. Elle place aussi des actrices en couverture, alors que ce choix était encore considéré comme hérétique. Nicole Kidman, Renée Zellweger, puis Angelina Jolie ou encore les jeunes stars de télé comme Blake Lively : Wintour comprend très vite que les célébrités ont autant de valeur qu’un mannequin – voire plus – tant qu’elles savent jouer le jeu.
En parallèle, elle redéfinit la structure même du magazine. Chaque élément passe par elle : les éditos, les shootings, les contrats pub, les couvertures, les partenariats. Elle a une réputation de contrôle absolu, parfois toxique, souvent crainte. Une légende interne raconte qu’elle décide parfois du nombre exact de centimètres de jambe visible dans une photo. Ce contrôle s'étend au-delà de la rédaction : elle participe aux décisions de casting des campagnes de pub, négocie avec les directeurs artistiques des maisons, influe sur la direction créative des grandes marques.
À partir de 2013, elle devient directrice artistique de Condé Nast. En 2020, elle est nommée Chief Content Officer mondial, chapeautant toutes les éditions de Vogue dans le monde. Elle est désormais à la tête de 25 éditions internationales. Cette position lui confère un pouvoir quasi monarchique sur la représentation de la mode à l’échelle planétaire.
Mais ce règne n’est pas sans zones d’ombre. Si son flair est indéniable, son manque de diversité devient une accusation lourde. Pendant des décennies, les couvertures restent majoritairement blanches, minces, hétéro-normées. Il faut attendre les années 2010 pour voir une réelle inflexion. En 2018, Beyoncé exige de choisir son photographe pour sa couverture : elle impose Tyler Mitchell, qui devient le premier photographe noir à shooter une couverture de Vogue US en 126 ans d’existence.
En 2020, dans le sillage des protestations post-George Floyd et du mouvement BLM, plusieurs anciens collaborateurs témoignent publiquement d’un climat d’exclusion chez Condé Nast. Certains pointent du doigt Wintour elle-même, accusée d’avoir maintenu une culture d’entreprise élitiste, silencieusement raciste, et opaque. Elle répond via un mémo interne, admettant ses erreurs, et promet une nouvelle ère d’inclusivité.
Depuis, des figures comme Edward Enninful (rédacteur en chef de Vogue UK) ou Chioma Nnadi (rédactrice de Vogue.com et désormais de Vogue UK à sa suite) représentent un contrepoids plus inclusif et progressiste, mais toujours sous l’ombre du règne Wintourien.
Ce règne s’est aussi transformé dans sa forme : Wintour est aujourd’hui le visage du Met Gala, qu’elle dirige depuis 1995, et qui est devenu un spectacle mondial, une cérémonie d’onction visuelle et une vitrine du soft power de la mode. Chaque tenue vue sur les marches du Met est indirectement validée — ou pas — par elle.
Mais ce que peu de gens voient, c’est que son influence s’exerce aussi en coulisses : elle joue un rôle diplomatique entre les marques, les maisons, les musées, les stars, les rédacteurs. Elle oriente la mode comme un chef d’orchestre silencieux, au doigt levé, sans jamais hausser le ton.
Alors pourquoi est-elle encore là, en 2025 ? Peut-être parce que personne d’autre n’a encore réussi à tenir la posture. Ou peut-être parce qu’Anna Wintour incarne ce que Vogue ne peut pas abandonner : le contrôle du récit.
Une dernière chose : malgré son air froid, son silence de velours et son aura de reptile stylé, elle n’a jamais prétendu être cool. Et c’est sans doute là qu’est sa vraie force. Elle ne suit jamais la tendance, elle la laisse venir à elle… et décide si elle mérite de devenir histoire.
🎙️ Chute et Renaissance : Vogue face à l’ère digitale
“La mode va trop vite pour l’imprimerie. Et pourtant, Vogue est toujours là.”
Pendant un siècle, Vogue a été l’oracle du style, le Saint Graal de la mode, le sésame ultime pour entrer dans l’élite visuelle. Mais tout orage numérique finit par tremper même les plus blindés. À l’aube des années 2010, alors que les réseaux sociaux explosent, que les blogs fleurissent, que YouTube détrône la télévision chez les moins de 30 ans, Vogue vacille. Lentement, mais sûrement.
Le modèle économique du magazine papier s’effondre. Les chiffres sont cruels : aux États-Unis, Vogue passe de 1,3 million d’abonnés en 2006 à des ventes en chute libre une décennie plus tard. Les jeunes générations ne lisent plus les magazines imprimés. Ils scrollent, likent, commentent. Le contenu visuel, autrefois conçu pour être contemplé, doit maintenant être consommé, digéré et recraché en 7 secondes.
Et Vogue, habitué à dicter la mode depuis son trône en velours, doit soudain s’adapter à un monde horizontal, participatif, imprévisible. Un monde où un TikTokeur de 19 ans peut définir la tendance d’une saison en dansant dans sa cuisine. Un monde où les “fashion week reviews” se font sur Substack, et où la critique mode prend des allures de thread Twitter ultra documenté.
La réponse de Vogue ? Une stratégie de mutation progressive, en multipliant les canaux, les contenus, et les visages. Première étape : Vogue.com devient un hub digital majeur, alimenté en continu. On y retrouve des critiques de défilés, des portraits de designers, des sélections d’achat (parfois sponsorisées), des articles lifestyle, beauté, culture pop. Le site joue sur deux tableaux : le prestige éditorial… et le SEO optimisé à la virgule près. Il faut plaire à Google autant qu’au lectorat historique.
Mais le vrai bijou digital, c’est Vogue Runway, plateforme lancée en 2015, qui archive tous les défilés majeurs des Fashion Weeks internationales. C’est devenu un outil incontournable pour les pros comme pour les passionnés. Gratuit, propre, accessible, avec des milliers de silhouettes photographiées sous tous les angles, indexées par saison, créateur et thème. Un Wikipedia du défilé, version luxe.
Sur les réseaux sociaux, la marque se fragmente pour mieux s’adapter.
Sur Instagram, chaque édition internationale gère sa propre ligne éditoriale. On y retrouve des extraits de shooting, des contenus en coulisses, des mini-interviews.
Sur YouTube, Vogue US lance des formats devenus cultes : 73 Questions, Beauty Secrets, Life in Looks. Ces capsules vidéo, léchées à l’extrême, surfent sur la frontière entre l’intime et le marketing de l’image.
Sur TikTok, le ton se veut plus spontané, mais Vogue peine encore à s’y installer durablement. Le réseau est dominé par des créateurs indépendants, souvent plus crédibles auprès de la Gen Z.
Mais adapter les formats ne suffit pas. Il faut aussi repenser le fond.Car pendant des décennies, Vogue a représenté un monde exclusif, blanc, élitiste, souvent misogyne sous couvert d’élégance. Face aux bouleversements culturels de la fin des années 2010 — MeToo, Black Lives Matter, body positivity, critique du capitalisme de l’image —, la marque n’a plus le choix : elle doit évoluer… ou disparaître.
En réponse, Vogue multiplie les initiatives :
En 2018, Beyoncé impose Tyler Mitchell, qui devient le premier photographe noir à shooter une couverture de Vogue US.
En 2020, après les soulèvements antiracistes aux États-Unis, Anna Wintour reconnaît publiquement les manquements historiques du magazine en matière de diversité.
Des figures comme Lizzo, Paloma Elsesser, Zendaya, Simone Biles, Malala, ou Jennie (BLACKPINK) deviennent visages de couverture.
Vogue Arabia, Vogue India, Vogue Korea, Vogue Mexico prennent en importance, chacune avec une identité visuelle plus radicale, plus enracinée localement, souvent plus innovante que la version US.
Mais derrière les annonces, les questions demeurent : est-ce sincère ou opportuniste ? Inclusif ou stratégique ?Certain·es dénoncent un wokewashing éditorial : des visages divers, mais peu de changements structurels en interne. En 2020, plusieurs anciens collaborateurs de Condé Nast témoignent d’une culture d’entreprise rigide, discriminante, toujours dominée par une élite blanche. Wintour promet de transformer la structure. Elle nomme Edward Enninful à la tête de Vogue UK, puis Chioma Nnadi pour lui succéder. Mais la centralisation reste de mise : chaque édition internationale doit désormais valider ses contenus auprès du siège US. Une diversité sous surveillance ?
Pendant ce temps, la concurrence devient protéiforme :
Des publications comme Dazed, i-D, ou The Gentlewoman séduisent une audience jeune, queer, anticonformiste.
Des voix critiques émergent sur Substack, comme Rachel Tashjian ou Vanessa Friedman.
Des TikTokeur·se·s et créateurs YouTube comme Mina Le, HauteLeMode, ou FashionRoadman produisent des analyses mode plus percutantes que la plupart des pages de Vogue US ces dix dernières années.
La vérité est crue : Vogue a perdu le monopole du regard.
Mais elle a gagné autre chose. Elle a transcendé son statut de magazine pour devenir une méta-marque. Une sorte de label culturel flottant, parfois creux, mais toujours convoité. En 2025, elle ne vend plus du papier. Elle vend un logo, une aura, un ticket d’entrée dans le storytelling visuel du pouvoir.
Et si Vogue ne crée plus toujours la tendance, elle la bénit. Elle ne la lance plus. Elle l’officialise.
Alors non, Vogue n’est plus l’unique oracle. Mais dans un monde où tout se fragmente, il faut encore quelqu’un pour signer les diplômes de style. Et ce rôle, malgré tout, malgré les fautes, malgré les retards… reste sien.
🎙️ Le Met Gala : l’église du look, les fidèles du like, et le dogme Anna Wintour
“Une soirée caritative. Oui. Mais avec plus de paillettes que la finale de l’Eurovision et plus de code vestimentaire que le Vatican.”
On ne pouvait pas parler de Vogue sans passer par le moment où tout l’univers mode s’agenouille devant ses saintes Écritures : le Met Gala.
Parce qu’en vrai, qu’est-ce que le Met Gala ? Un tapis rouge ? Un bal de promo ? Un test de personnalité avec strass intégrés ? Techniquement, c’est un gala caritatif organisé pour lever des fonds pour le Costume Institute du Metropolitan Museum of Art de New York. Mais socialement ? C’est le dîner le plus exclusif du monde, où les vêtements ne se portent pas : ils signifient. Et où l’entrée ne se gagne pas avec une carte bleue… mais avec une validation papale signée Anna Wintour.
Depuis 1995, c’est elle qui orchestre tout. Chaque année, chaque invité, chaque centimètre de tissu passé sur les marches du MET a été filtré, sélectionné, scénarisé. On ne monte pas ces escaliers, on les mérite.
Et Vogue, bien sûr, est partout : dans l'organisation, dans la diffusion, dans l’interprétation. Le Met Gala, c’est l’extension physique de son pouvoir. C’est le moment où le magazine ne se contente plus de commenter la mode — il devient la mode.
Officiellement, le ticket pour la soirée coûte autour de 50 000 $. Mais ce chiffre ne veut rien dire si ton nom ne passe pas la censure Wintourienne. Des célébrités bankables se sont vu refuser l’entrée — trop vulgaires, trop instables, trop peu alignées. Et à l’inverse, une simple apparition au Met peut faire ou détruire une carrière.
Les tables sont achetées par des marques, qui y placent leurs égéries. Chanel paie, et sa muse grimpe les marches. Louis Vuitton réserve, et ses ambassadeurs brillent. Le Met Gala, c’est aussi un showroom de luxe en haute résolution, mais présenté comme un événement artistique.
En 2023, le gala a levé plus de 22 millions de dollars. En surface, c’est noble. En sous-texte, c’est l’un des deals médiatiques les plus rentables du monde. Chaque édition a son thème. Et chaque thème est lié à l’exposition annuelle du Costume Institute.
Mais très vite, ces thèmes sont devenus des épreuves de style olympique. – Heavenly Bodies en 2018 ? L’imaginaire catholique remixé version Dolce & Gabbana. – Camp en 2019 ? Un hommage à l’extravagance, où certaines stars ont brillé par l’excès, d’autres par leur incompréhension totale du concept. – China: Through the Looking Glass en 2015 ? Magnifique, mais flirtant dangereusement avec l’orientalisme. – Karl Lagerfeld en 2023 ? Élégance glacée… et polémiques sur la figure d’un créateur autant vénéré que critiqué.
Mais le plus fascinant dans ces thèmes, c’est qu’ils mettent les célébrités à l’épreuve. Un bon look n’est pas seulement beau. Il doit répondre au thème, porter un message, coller à la maison qui l’a sponsorisé, et générer un buzz mémorable.
Et dans cette équation impossible, certaines réussissent (Rihanna, Zendaya, Billie Eilish), quand d’autres se noient dans un tulle hors sujet. Depuis que le Met Gala est devenu un événement viral, chaque tenue est pensée pour être capturée, retweetée, remixée, critiquée. Le lendemain, les réseaux tranchent : – Qui a tout compris ? – Qui a essayé ? – Qui aurait mieux fait de rester chez elle, ou d’appeler une styliste compétente ?
Et c’est là que le Met Gala joue un rôle inédit : il transforme la mode en débat collectif. Le look devient un discours. La robe devient une opinion. Et Vogue s’assure que le récit tourne dans le bon sens.
Mais cette spectacularisation a ses revers. – L’événement est accusé de greenwashing, malgré ses millions de cristaux Swarovski. – De déconnexion sociale, quand il se déroule en pleine crise économique ou sanitaire. – De récupération politique : comme lorsque AOC débarque avec une robe "Tax the Rich"… au Met Gala. – Et surtout, de superficialité stratégique : on parle de "diversité", mais les mêmes visages, les mêmes marques, les mêmes dynamiques reviennent chaque année.
Le Met Gala est un miroir. Mais comme tout miroir, il reflète ce qu’on veut bien y voir.
Vogue n’est pas seulement partenaire média. Il est le narrateur officiel de la soirée. – C’est la rédaction qui écrit les captions Instagram. – C’est Vogue YouTube qui produit les "Get Ready With Me". – C’est Vogue.com qui classe les looks, valide ou recadre les excentricités.– C’est encore Vogue qui filme les vidéos de Billie Eilish dans sa chambre d’hôtel ou Rihanna dans son ascenseur.
Le Met Gala, c’est la preuve annuelle que Vogue a encore le pouvoir d’imposer un moment collectif, même dans une époque où tout est éclaté.
Même si tout le monde ne lit plus le magazine, tout le monde regarde ce que Vogue veut qu’on voie.
Mini-focus Met gala 2025
Chaque année, le Met Gala joue à cache-cache avec le bon goût, mais en 2025, le jeu a pris un tournant bien plus politique que pailleté. Le thème ? "Superfine: Tailoring Black Style". Un intitulé raffiné pour une soirée qui ne l’était pas moins. Derrière l’élégance de façade se cache un propos fort : honorer le dandysme noir, non comme une tendance, mais comme un acte de résistance, d’affirmation identitaire, et de réinvention culturelle. Et si ça vous paraît trop académique, retenez simplement que ce n’était pas juste une affaire de costards bien taillés. C’était une lettre d’amour — et de rage — à la culture noire.
Le dress code officiel, "Tailored for You", a été une invitation à l’appropriation personnelle, mais aussi à la reconnaissance collective. Et cette année, ce n’est pas Anna Wintour qui a volé la vedette, mais un casting de co-présidents qui disait tout : Pharrell Williams, Lewis Hamilton, Colman Domingo, A$AP Rocky. Pas pour faire joli sur l’affiche, mais pour incarner la thématique. Pharrell en particulier, maître du crossover entre luxe et culture urbaine, a imposé une direction claire : ce Met Gala n’était pas là pour valider une tendance, mais pour remettre en lumière des siècles de créativité noire souvent invisibilisée dans les musées et les magazines.
L’exposition du Met Museum, co-curatée par Monica L. Miller (autrice de Slaves to Fashion) et Andrew Bolton, a structuré cette célébration en douze sections aussi élégantes que politiques : “Ownership”, “Freedom”, “Cool”, et bien d’autres. Le tout ponctué de créations de stylistes et artistes contemporains comme Torkwase Dyson et Tyler Mitchell. On n’était pas sur une simple galerie de robes – mais bien sur un manifeste textile.
Côté drama, Ashley Graham a évité de peu la catastrophe huileuse sur sa robe grâce à une broche bijou sortie de nulle part. Mais le vrai malaise est venu de Cartier, qui a refusé à Diljit Dosanjh le droit de porter le collier royal de Patiala — déclenchant un débat sur les héritages culturels et l’exclusion symbolique.
Enfin, la performance d’Andra Day sur "Rise Up" a figé la salle dans un moment suspendu, rappelant que sous chaque couture parfaitement exécutée se cache souvent une douleur, une histoire, une lutte. Ce Met Gala 2025 n’a donc pas été qu’un événement mode : il a été un rappel. Celui qu’on ne célèbre pas la beauté noire en la costumant pour une nuit, mais en lui rendant la place qu’elle n’aurait jamais dû perdre.
🎙️ Conclusion – “La légende au bord du miroir”
Alors voilà.
Vogue n’a pas seulement raconté la mode. Elle l’a fabriquée, façonnée, parfois verrouillée.Pendant plus d’un siècle, elle a tenu la plume, la caméra, le carnet d’adresses et le chéquier. Elle a décidé qui avait du goût, qui était trop tôt, qui était trop tard. Et surtout : qui méritait d’être vu.
Elle a traversé les guerres, la télé, Tumblr, TikTok. Elle a absorbé les critiques, recyclé ses fautes en éditos, transformé ses maladresses en storytelling. Vogue, c’est l’élégance qui se justifie toujours avec aplomb. Une icône qui ne cligne jamais, même face à une tempête de trends absurdes.
Mais derrière la soie et les flashs, les coutures craquent parfois. L’envie d’être moderne sans perdre son trône. La volonté d’être inclusive… sans trop lâcher le club privé. Et cette question qui flotte comme un parfum en fin de gala : est-ce que Vogue est encore en avance… ou juste bien maquillée ?
Et peut-être que c’est ça, la beauté étrange de cette institution. Elle ne suit pas la mode. Elle raconte ce qu’elle aurait aimé que la mode soit. Pas ce qu’on est, mais ce qu’on espère projeter, même quand on scrolle à minuit dans un hoodie à capuche en mangeant des nouilles instantanées.
Alors oui, Vogue est une relique. Mais c’est une relique qui twiste encore sa silhouette pour rester dans le cadre. Et tant qu’il y aura une robe à coudre, un ego à flatter, ou un nom à canoniser, Vogue restera là.
Juste assez floue pour être mythique.Juste assez nette pour être bankable.
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